En 1962, un étudiant en stage au jet Propulsion Laboratory (JPL) à Pasadena, Michaël A. Minovitch, découvrit que tous les dix ans environ les positions respectives de la Terre , de Vénus et de Mercure permettraient de dévier et d'accélérer une sonde qui aurait pour objectif la planète Mercure en exploitant le champ gravitationnel de Vénus . Cette configuration allait en particulier se présenter en 1973. Une équipe dite Équipe Mariner 10 avec Bruce Murray à sa tête fut constituée en 1969. Elle disposait d'un budget de 98 millions de dollars.

L'utilisation de cette opportunité n'était pas négligeable puisqu'elle permettait l'emport d'un important matériel scientifique en ne nécessitant qu'un lanceur du type Atlas/Centaur au lieu du Titan-111C/Centaur, beaucoup plus coûteux. De plus, à l'occasion d'une conférence du JPL sur la mission, un spécialiste de mécanique céleste de l'université de Padoue fit remarquer qu'après le survol de Mercure la sonde tournerait autour du Soleil avec une période pratiquement égale au double de celle de la planète. Il suggéra donc de tenter un deuxième survol; les calculs démontrèrent que si on choisissait bien les paramètres orbitaux de la première rencontre, l'effet de fronde gravitationnelle dû à Mercure allait permettre le retour de la sonde tous les six mois, jusqu'à épuisement de la charge propulsive nécessaire aux petites corrections de route et d'assiette.

Parcours d'une sonde dans le cas d'une trajectoire directe (à gauche) et dans le cas d'une trajectoire avec assistance gravitationnelle de Vénus (à droite). Cette dernière avait été calculée de telle manière que les deux trajectoires tangentent à 69 106 km du Soleil . Mariner 10 a été la première sonde à utiliser le principe de la "fronde gravitationnelle".

 

LA SONDE

La sonde destinée à l'étude de Mercure avait été l'objet de plus de dix années d'études dans le cadre du progranune Mariner, lancé en 1962 avec le premier survol de Vénus (Mariner-2), et dont le point culminant fut le premier satellite artificiel de Mars (Mariner-9) en 1971.

Il s'agissait d'un corps octogonal, renfermant l'électronique, muni de deux panneaux solaires et d'une batterie pour la fourniture du courant électri- que, de tuyères à azote pour le contrôle de l'assiette, d'un système de télécommunication avec deux antennes directionnelles - une basse et l'autre haute -, d'une plate-forme mobile pour les instruments scientifiques dont deux caméras TV de 1500 mm de focale et d'un système de propulsion à l'hydrazine pour contrôler la trajectoire. Le tout représentait 504 kg, dont 79,4 kg d'instruments scientifiques et 20 kg de propergol (hydrazine). Pour résister au rayonnement intense du Soleil , que la sonde allait frôler comme aucun véhicule ne l'avait fait jusque-là, Mariner-10 était protégée par un parapluie réflecteur et plusieurs couches d'isolants thermiques. L'orientation de la sonde dans l'espace, calculée afin que l'instrumentation scientifique soit dirigée vers la planète et les antennes vers la Terre , était en permanence faite sur l'étoile Canopus.

Mariner 10 (118 Ko)

UN VOL PRODIGIEUX

Le lancement eut lieu le 3 novembre 1973 depuis le polygone de Cap Kennedy, en Floride, au moyen du lanceur Atlas/Centaur SLV.3D (Standardi zed Launch Vehicle) composé d'un module Atlas d'un étage et demi de 3,05 m de diamètre surmonté d'un étage cryotechnique Centaur. Le tout était propulsé par trois moteurs à oxygène liquide et kérosène (un moteur central développant 26 700 daN et deux gros moteurs de décollage développant chacun 84 000 daN pendant 157 secondes).

Les instruments scientifiques furent alors quasi simultanément branchés pour être calibrés à l'occasion d'une série d'observations de la Terre et de la Lune. Aujourd'hui encore, certaines images des régions nord de notre satellite acquises alors sont les meilleures dont on dispose. Dès la fin du, mois de novembre, Mariner-10 cornmença à avoir une série de problèmes techniques dont le plus grave se déclara le jour de Noël: l'intensité des signaux envoyé, vers la Terre baissa d'un coup du fait de la défaillance d'un joint de l'alirnentateur de l'antenne à haute définition, avarie due aux écarts importants de température. La transmission en temps réel des images de Mercure sembla donc bien compromise et de nombreuses données scientifiques perdues Mais l'antenne se remit à fonctionner, avec cependant de nombreux à-coups. Autres incidents: une panne définitive du système de réchauffage des caméras, qui fonctionnèrent à la température de - 30°C au lieu de + 10; des défectuosités dans le fonctionnement du gyroscope, qui nécessitèrent de nombreuses interventions des moteurs, d'où une consommation excessive d'azote (il faut noter à ce sujet que les techniciens du JPL utilisèrent parfois pour ces modifications de position la pression exercée par le vent solaire sur les panneaux solaires : ils devinrent ainsi les précurseurs de la " voile solaire ").

Malgré tout, Mariner-10 survola Vénus avec succès le 5 février 1974. Passant à 5800 km de la planète, ce fut la première sonde qui acquit des images de ses nuages dans le domaine de l'ultraviolet (plus de 3000), révélant ainsi les détails de la circulation atmosphérique.

Image en lumière rasante des "rugosités", de la planète révélées par Mariner-10. Malgré de nombreux problèmes techniques lors de son odyssée, la sonde a pu envoyer à la Terre une grande masse de données, les seules dont on dispose, à ce jour, sur cette planète.
Tout comrne celle de la Lune, la surface de Mercure est constellée de cratères, telle cette "vallée d'Arecibo", de 13 km de large, une sorte de cicatrice profonde sur le visage de la planète

 

LES RENCONTRES AVEC Mercure

Le premier survol de Mercure eut lieu le 29 mars 1974, à 705 km de la surface de l'hémisphère obscur. Le 21 septembre, eut lieu le second survol de Mercure , au-dessus de l'hémisphère éclairé, à 48 069 km d'altitude et par 400 de latitude sud. On découvrit ainsi les régions méridionales de la planète, ce qui compléta le relevé des surfaces observées six mois plus tôt.

Les efforts méritoires des ingénieurs et des techniciens du JPL permirent un troisième survol le 16 mars 1975, à 327 km d'altitude. Une semaine plus tard, le 24 mars, Mariner-10 exhala une dernière bouffée de gaz et se mit à tournoyer dans l'espace d'une manière incontrôlée. Les communications avec la Terre furent alors interrompues à jamais.

Les informations recueillies étaient énormes : pression et température de surface (radiométrie IR, spectroscopie UV), détection d'un champ magnétique (magnétomètrie), découverte de la surface de la planète (très semblable à la Lune). La résolution des images atteignait 1 à 2 km; certaines furent même portées jusqu'à 30 m!

D'après les données recueillies par Mariner-10, on a pu construire une carte géologique de Mercure . La petite sonde, qui a achevé son travail en Mars 1975 après être passée à 327 km de la surface de la planète, continue à tourner autour du Soleil et croise tous les 176 jours environ les alentours de "sa planète".
Hémisphère de Mercure pris par Mariner-10 pendant l'approche. La sonde a photographié près de la moitié de la surface de la planète, survolée deux fois. Premier survol le 29 mars 1974, au-dessus de l'hémisphère obscur; deuxième survol le 21 septembre de la même année, au-dessus de l'hémisphère éclairé.